Chouzé-sur-Loire au temps des meuniers
2 Km
DuréeMoins de 2 heures
Jusqu’au milieu du 19e siècle, la Loire est la principale voie commerciale de la Touraine et de l’Anjou. Imaginez, devant le bourg de Chouzé (3 800 habitants à cette époque), le fleuve couvert d’une flottille de gabarres, de toues, de sapines, de chalands transportant : bois, vins, fruits, pierre... Mais, depuis l’arrivée du chemin de fer, les quais de Chouzé ne bruissent plus de la même animation...
François Vallé est issu d’une famille de mariniers et négociants nantais décimée pendant la Révolution. Son père, Jean, est arrivé à Chouzé enfant, recueilli par Martin Poirier, un marinier-meunier. Jean épousera Anne Poirier, deviendra à son tour marinier, mais, privilégiant bientôt la meunerie, il fera prospérer les moulins de sa belle-famille. Sur sa pierre tombale, il a tenu à ce qu’on inscrive : «Jean Vallé, ancien marinier». Son fils François a repris la gestion
des moulins, situés près du bourg. En cette belle journée d’avril 1875, nous allons le retrouver sur les quais, derrière la mairie. Il a une cinquantaine d’années et a su conduire ses affaires...
Tous les matins, qu’il pleuve ou qu’il vente, je fais ma promenade sur les quais ! Pour sûr, ils n’ont plus l’animation
que je leur ai connue il y a encore vingt ans ! Il fallait voir tous ces bateaux déchargeant leurs marchandises ou embarquant les fruits de nos vergers. Mais depuis qu’on a le chemin de fer et la gare à Port-Boulet, il faut admettre qu’on ne voit plus beaucoup de mariniers. Il y a bien encore quelques familles dans notre gros bourg de Chouzé, mais bientôt, ils vont être obligés de se reconvertir. Mon père aussi était marinier mais il a senti le vent
tourner. De bonne heure, il s’est mis à la meunerie ! Ce sont ses moulins que j’ai repris. Allons, je file chez Maître Anthaume. Je voudrais causer avec lui d’un projet d’acquisition d’un moulin à eau à Bourgueil. Il est de bon conseil, c’est pour ça qu’on en a fait notre nouveau maire !
Le notaire habite une de ces belles maisons construites depuis les années 1840 entre le quai et la levée. Ah, c’est sûr, on voit qu’il a bien réussi dans les affaires notre maire ! Sa maison est une des plus belles du bourg. Et ce jardin ! Si nos quais sont encore bien entretenus par la commune, ce n’est plus le cas des épis que les ingénieurs de la ville avaient fait construire en 1825 dans le lit de la Loire. Ils disaient que ça faciliterait la navigation...
Nos vieux mariniers ne s’y sont jamais habitués ! Je me souviens des colères que piquaient mon grand-père et
mon père : ils disaient que le courant déroutait leur bateau. Ah, oui, il y en a eu des accidents ! Bon, je vois Maître Anthaume
qui m’attend à la porte de son jardin…
Voilà, l’affaire est faite ! Anthaume accepte de me prêter l’argent dont j’ai besoin. C’est mon fils qui va être content, car plus tard, le moulin de l’Aumône, à Bourgueil, ce sera pour lui. Allez, la journée commence bien ! Je file à présent chez le cordier. C’est à côté. J’ai besoin d’une bonne corde pour retenir au sol l’échelle d’un de mes moulins. Le cordier du bourg utilise le chanvre qu’on cultive en abondance dans la vallée. Pourtant, depuis que la marine de Loire n’est plus très florissante, on en a moins besoin pour les voiles. Heureusement, il y a toujours les corderies d’Angers qui sont en demande. On fait aussi beaucoup d’osier par ici, c’est une des spécialités du coin. Il y a beaucoup de vanniers professionnels, même si tous les paysans savent fabriquer leurs paniers. Dites-donc
les amis, le temps passe ! Je cause, je cause mais j’ai encore à faire dans le bourg !
Alors ma femme, as-tu trouvé ce que tu voulais ? Je vois que tu t’es encore laissée tenter par ton péché mignon !
Ces délicieux pruneaux de Tours, tu finiras par t’en rendre malade ! Tu me laisses pour mon dessert les pommes reinettes de la saison dernière, qui commencent à être un peu chopes ! Enfin, je te pardonne, car je constate que tu as aussi pensé à moi en achetant mes radis préférés ! Dis-donc, tu penseras à acheter un beau poisson pour ce soir : une alose ou un saumon, si tu en trouves. C’est la bonne saison. Et notre bon chien Pataud, comment il va ? Il est comme moi, il prend de l’âge mais il est toujours vaillant pour tirer sa charrette ! Tiens, je te laisse la corde que je viens d’acheter. Je dois encore aller chez le charron. À ç’tantôt !
Tiens, comme je passe par là, je vais faire un petit arrêt à l’église. Par nature, je ne suis pas bien bigot, à la différence d’Eugénie ma femme : elle, c’est une vraie grenouille de bénitier! Mais j’aime bien notre grande église : elle est claire, on s’y sent à l’aise. J’avais deux ans quand elle a été construite. Et mon père était de ces mariniers qui ont offert la maquette du bateau «L’Union» au curé, en 1848. Ah, il est vraiment beau ce bateau, et que de souvenirs ça me remet en tête... Allez, je vais me fendre d’une petite prière à la sainte Vierge, pour le repos de
l’âme de mes chers parents, qui sont enterrés l’un à côté de l’autre dans le cimetière voisin
Bonjour cousin, comment ça va ? T’en as d’une belle charrue devant ton atelier ! Elle doit être bien
avantageuse ! Dis-moi, pourrais-tu passer me voir dès que tu pourras, car j’ai le cerclage d’une de mes meules dormantes qu’il faudrait resserrer. Ça devient assez pressé, mais je n’ai pas eu le temps de te demander ça plus tôt. Tu fais au mieux. Il faudra aussi que je t’amène la charrette à chien d’Eugénie. Il faudrait lui mettre un bout de ferraille sur un brancard qui est fendu. Je ne voudrais pas que ma bourgeoise se fiche la goule en l’air ! Dis-donc, ça se construit encore dans ton quartier! Qui donc fait construire la belle maison qui fait l’angle ?
Assez promené ! Au boulot à présent ! Il y a mon fils aîné,Gustave, qui m’attend. Il travaille avec moi. Quand j’étais
jeune, j’étais comme lui : ardent au travail, toujours à la recherche du progrès. C’est moi qui ai fait installer les ailes
Berton sur mon grand moulin, en 1856. Ah c’est sûr, avec Eugénie, on a guère pris le temps de se reposer ! Les affaires ont toujours bien tourné, et on a pu acheter aussi les moulins des Pelouses.
Ce soir, j’ai fini ma semaine. Demain c’est dimanche ! Si j’allais rejoindre les vieux copains au café du Commerce ?
Oui, oui, je sais ! Ma bourgeoise n’apprécie guère que j’aille ainsi prendre un peu de bon temps, mais elle sait que je suis raisonnable. J’aime bien le breton, mais je n’en ai jamais abusé ! Ce que je préfère, c’est l’ambiance ! On est là, avec les copains, à refaire le monde et se rappeler nos vieux souvenirs de gars de la Loire ! La marine, la pêche, et aussi les inondations, celle de 56 en particulier... C’est pas si loin... Dis-donc René, viens t’asseoir avec moi, et tu dis à Victor et Jean de se joindre à nous. On se fait d’abord une partie d’aluette ? Ou vous préférez une partie de boules ? Ah oui, vous avez encore peur de perdre !